Alain Juppé saute sur Bordeaux

(Le retour)

Paru aux éditions Syllepse en septembre 2006  -  Voir ici

Par Stéphane Lhomme

Début de l'Introduction

Juin 1995. Après 50 ans de "règne" de Jacques Chaban-Delmas, Bordeaux se dote d'un nouveau maire. Et c'est Alain Juppé, pourtant élu à Paris depuis 1983, qui se parachute - il est alors Premier ministre - et s'attribue la place vacante. Il est aidé en cela par une puissante campagne d'opinion selon laquelle Bordeaux ne peut que bénéficier de l'arrivée d'une personnalité d'envergure nationale.

28 août 2006. Une cinquantaine d'élus de la majorité UMP-UDF de Bordeaux démissionne sur ordre d'Alain Juppé qui, pour la seconde fois, s'apprête à fondre sur la ville. En effet, condamné fin 2004 à un an d'inéligibilité, il a dû quitter tous ses mandats dont celui de maire de Bordeaux. Après quelques mois d'exil doré au Québec, le voilà donc de retour, et il exige immédiatement qu'on lui rende "son" siège.

Comme toujours dans ce genre de situation, il prétend répondre à l'appel pressant de ses amis. Ainsi, lors du Conseil municipal de Bordeaux du 3 juillet 2006, le "maire intérimaire" Hugues Martin, a déclaré : « Alain Juppé est un homme d'Etat. (…) C'est aussi un homme d'une probité unanimement reconnue. Sa remise en situation sur la scène nationale, que nous souhaitons tous, implique sa réhabilitation par le peuple. (…) Personnellement, je vois mal comment nous, Bordelais, pourrions nous passer des formidables capacités de cet homme. »[1]

Notons d'abord que, de notoriété publique, nombre d'élus se sont fait priés pour démissionner, pas forcément convaincus que le retour du divin chauve soit une bonne idée.

Mais l'important est ailleurs : le vibrant hommage déclamé par Hugues Martin mérite d'être soigneusement interrogé. Le bilan d'Alain Juppé, en tant que maire de Bordeaux et Président de la Communauté urbaine, est-il aussi flatteur que certains veulent bien le dire ? La réponse est incontestablement négative : le dossier d'Alain Juppé ne résiste que quelques secondes à une étude attentive, tant sur le plan des faits que sur celui de la morale.

D'ailleurs, on s'étonnera d'entendre ainsi parler de "probité unanimement reconnue" concernant un repris de justice. Mais il est vrai que le condamné Alain Juppé est pratiquement devenu innocent. Oh, certes, pas tout à fait : il a bien été condamné, le 1er décembre 2004, à 14 mois de prison avec sursis et une peine complémentaire d'un an d'inéligibilité. Bien que l'ayant reconnu coupable de "prise illégale d'intérêt", dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la Cour d'appel de Versailles a été d'une surprenante clémence : en première instance, le 30 janvier 2004, le tribunal correctionnel de Nanterre avait, lui, prononcé une peine de 18 mois de prison avec sursis et surtout une inéligibilité de 10 ans.

C'était à coup sûr la fin de la carrière politique de l'ancien Premier ministre qui, contrairement à ce qu'il avait annoncé avec fracas, se dépêcha de faire appel, avec le succès que l'on connaît. Incroyable retournement de situation : du fait de ce second jugement, nettement moins sévère que le premier, Alain Juppé a alors été présenté comme quasiment blanchi. C'est tout juste si la faible condamnation qui l'a frappé n'a pas été considérée comme une véritable injustice.

Pourtant, les faits sont là : Secrétaire général du RPR de 1988 à 1995, et adjoint aux finances à la mairie de Paris de 1983 à 1995 sous la mandature de Jacques Chirac, Alain Juppé a été reconnu coupable d'avoir couvert sept emplois fictifs, financés par la Ville de Paris alors que les personnes ainsi salariées travaillaient en réalité pour le RPR. Les attendus du jugement de première instance sont explicites : "La nature des faits commis est insupportable au corps social comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi" et, "agissant ainsi, M. Juppé a, alors qu'il était investi d'un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain".[2]

Quelques temps après ce jugement dépourvu de la moindre ambiguïté, Alain Juppé a donc quitté tous ses mandats… mais a néanmoins fait appel, tout en précisant qu'il ne reviendrait pas sur ces démissions même en cas de relaxe en seconde instance. Promesse que, une fois de plus, il n'a pas tenue.

Rien de surprenant pour qui se souvient que, avant son procès en appel, le maire de Bordeaux avait fait une première tentative de blanchiment : "La mairie de Paris a indiqué jeudi avoir reçu de la part des avocats d'Alain Juppé une proposition de remboursement de 1,2 million d'euros dans l'affaire des emplois fictifs", écrivait l'AFP le 10 juin 2004 dans une dépêche citant le Canard enchaîné et précisant "Selon l'hebdomadaire satirique, M. Juppé demandait à l'Hôtel de Ville, en échange de ce remboursement, de se désister de sa constitution de partie civile". Si la Mairie de Paris avait accepté cette étrange proposition, l'avenir politique du maire de Bordeaux se serait miraculeusement éclairci.

Il restait alors à Alain Juppé une option déjà vue ailleurs, par exemple avec les époux Balkany (RPR/UMP) à Levallois-Perret ou Jacques Mellick (PS) à Béthune : bien que pris "la main dans le sac", le condamné se fait passer pour une victime, injustement frappée, il s'offre une (petite) traversée du désert, prépare habilement l'opinion à son grand retour et obtient son blanchiment par l'intermédiaire du suffrage universel.

Une traversée du désert… dans la neige !

Il est vrai que l'électeur n'est pas toujours très sérieux : il lui arrive d'apprécier les destinées romanesques, les méchants devenus gentils. Encore faut-il agir avec tact pour accréditer la thèse d'une telle évolution. Ce n'est pas gagné pour Alain Juppé qui tente désespérément d'arrondir une personnalité qu'il a lui-même marquée au fer rouge, le 6 juillet 1995, en direct dans le journal télévisé de 20h, par une expression restée célèbre : "Je reste droit dans mes bottes". Toujours est-il qu'Alain Juppé, fin 2004, démissionne de tous ses mandats (pour éviter d'en être démis de force par la justice) et s'envole pour le Québec.

La traversée du désert se fera donc… dans la neige ! Fin 2005, venu se réchauffer quelques jours à Bordeaux, M. Juppé en profite pour se réinscrire sur les listes électorales : il a effectivement (déjà !) purgé son année d'inéligibilité. Mais les législatives sont prévues pour juin 2007 et les municipales pour mars 2008 : c'est bien beau d'être à nouveau éligible, encore faudrait-il qu'il y ait des élections !

Mais comme par hasard, en ville, on parle déjà d'une démission collective de la majorité municipale pour permettre un retour anticipé du divin chasseur de caribou. Le député-maire intérimaire, Hugues Martin, commençait pourtant à se plaire en numéro un, après des décennies dans l'ombre de Chaban-Delmas puis de Juppé…

Ce dernier va donc se présenter à nouveau devant les électeurs et, pour de nombreux observateurs de la vie politique, sa victoire ne fait aucun doute. D'autant que, par une puissante campagne d'opinion, les amis d'Alain Juppé entendent imposer l'idée que son action à la mairie, entre 1995 et 2004, est une grande réussite, frôlant la perfection.

Nous estimons au contraire que le bilan de M. Juppé est accablant, plombé par des affaires ou des décisions moralement injustifiables. Le temps qui passe étant un atout pour ceux qui, tel Juppé, veulent blanchir leur passé, nous nous proposons de rafraîchir un peu la mémoire de chacun.

[1] Sud-Ouest, "Hugues Martin signe son épitaphe", mardi 4 juillet 2006.
[2] http://www.rfi.fr/actufr/articles/049/article_26255.asp


Sommaire

Le village andalou
Avril 2000 : "Ces rapports qui accablent"
Juillet 2000 : le saturnisme
Quitter le Village andalou
Attaque, contre attaque…
Une incroyable manifestation
Les manifestations se succèdent…
Le maire de Bordeaux et le logement social
Première aggravation du saturnisme
Plainte contre Alain Juppé pour empoisonnement
Médias et politique ?
Premières conséquences du dépôt de plaintes
Le Préfet intervient
Une ministre au Village andalou !
Le maire de Bordeaux contre-attaque
La déroute du Préfet
Un été cauchemardesque
Droite, PS, PC : "Non aux Gitans !"
Situation bloquée
Quitter le plomb pour l'amiante ?
Bilan d'Alain Juppé dans l'affaire du Village andalou
 
 
L'arrêté "Anti-bivouac"
Quand Juppé s'essaye à la "Chasse aux pauvres"

La "réactionnite"
Coup double
Circulez !
Cachotteries
Première manif
Surprise
Perturbation du Conseil municipal
Bivouacs géants et presse nationale
Juppé se plaint… et obtient des "résultats"
La police contre l'arrêté "anti-bivouac"
Une étudiante mise à l'amende !
Retour de la presse nationale
Au tribunal !
Juppé fait un tabac dans les médias
Victoire !
Juppé s'entête
Victoire définitive et "Bivouac géant"
Conclusion
 
 
L'affaire de l'Eglise St-Eloi
Quand Alain Juppé fait des cadeaux aux intégristes

Dérapage juppéiste
Un peu d'histoire
Désaffection ne vaut pas désaffectation
Liberté d'expression ?
Extrême-droite, extrême-gauche… et extrême mauvaise foi
Première manif et presse nationale
L'Archevêque s'enhardit… les intégristes aussi
Folklore… et croix celtiques
Alain Juppé voulait-il éliminer Jacques Chirac ?
Manifestation, tribunal, médias nationaux…
…Juppé désavoué par la justice
Pour le retour de la "hache folle"
Etrange collusion…
Confirmation en appel
La politique du fait accompli
Les fascistes gagnent du terrain…
Rejet du pourvoi en cassation et… messe pour Pétain
Un double schisme… providentiel ?
Un nouveau Pape à Rome et un cardinal à Bordeaux
Conclusion
 
 
L'affaire de la Vieille Bourse du Travail
Les étranges cadeaux de Juppé à un promoteur immobilier
 
Un projet… inattaquable ?
Un bâtiment historique
Cadeau à un promoteur privé
Manifestation, occupation et… intimidation
Un promoteur chanceux
La vieille Bourse brûle
Payez 350 000 euros… et recevez 2 millions d'euros d'argent public !
Conclusion provisoire
 
 
 
Alain Juppé reçoit le criminel Poutine à Bordeaux
 
Dur d'être Président…
…mais n'est pas Président qui veut !
D'abord Hu Jintao…
…puis le criminel Poutine
Bordeaux en état de siège
1000 manifestants un mercredi midi !
ENCART : Pas de deux au PS
A genoux devant Poutine
 
 
Johnny à Bordeaux : "Allumez le feu… et envoyez la monnaie !"
 
450 000 euros pour le "pauvre" Johnny
Presse nationale et alibi social
Y'a un truc !
Saines réactions citoyennes
Juppé recule enfin
Le fin mot de l'histoire
 
 
Les faces cachées du tramway sans fil d'Alain Juppé
 
Première mondiale… ou mystification ?
Alimentation "sans fil"… et sans électricité
Faute morale et grande imprudence
Les sans papiers exploités sur le chantier du tramway
Inauguration du tramway : rafle à Bordeaux
 
 
Quelques autres dossiers peu glorieux pour Juppé…
 
Culture, histoire, et vie municipale
Juppé et le monstre des quais
Le méga-flop du Festival du cinéma au Féminin.
La parodie de démocratie des "Conseils de quartier"
Juppé tangue sur le passé négrier de Bordeaux
Economie : flops, infractions, copinages…
 
D'étonnantes irrégularités de gestion
Annulation d'attribution de marchés pour le tramway
Juppé se fait rouler par le Port autonome
Le scandale de l'eau : une faute majeure d'Alain Juppé
Après l'eau, l'assainissement !
Juppé : bon pour Accor… et pour Géraud
 
Ecologie : un domaine inconnu pour Juppé
Le "non-tri" sélectif
Le Colbert
Plan lumière, éclairages de Noël…
… voiture électrique : sans énergies renouvelables
Tcherno-Juppé
 
Il n'y a pas que Bordeaux dans la vie !
Des logements sociaux pour la famille Juppé
Les emplois fictifs de la Ville de Paris
Des chefs d'accusations miraculeusement rayés les uns après les autres…
Juppé le retraité : la réforme pour nous, le jackpot pour lui !


Bordeaux-Juppé