Alain Juppé, l'homme "non-providentiel" de
Bordeaux
Par Stéphane Lhomme (*) - 24 août 2006
L'affaire
est désormais entendue : lors d'une réunion de la majorité municipale de Bordeaux le
lundi 28 août, la quasi-totalité de la majorité UMP-UDF va annoncer sa démission pour
provoquer une élection municipale anticipée et permettre à Alain Juppé de récupérer
ce qu'il considère comme son bien : le siège de maire de Bordeaux. Bien que légal, ce
tour de passe-passe est condamnable sur plusieurs plans :
- cette démission collective est l'expression du mythe de la personne providentielle, sans laquelle les "gens ordinaires" seraient condamnés à la médiocrité. C'est peut-être le cas pour la majorité municipale de Bordeaux (nous les laissons juges !), mais pas pour la majorité des citoyens.
-
même s'il a déjà purgé sa peine, grâce à une curieuse "contorsion
juridique" de la Cour d'appel de Versailles (**), Alain Juppé reste moralement
indigne de tout mandat. Il est choquant que, en France, on puisse être à nouveau élu
après avoir été condamné pour "prise illégale d'intérêt" et avoir
détourné de l'argent public.(***)
-
par ailleurs, contrairement à ce qu'on peut lire ici où là, le bilan de M. Juppé à la
tête de la mairie de Bordeaux et de la Communauté urbaine est extrêmement négatif.
Quelques rappels :
L'arrêté anti-bivouac ou la "chasse aux pauvres" : c'est sans même consulter le conseil municipal que M. Juppé a signé en janvier 2002 cet arrêté qui a suscité pendant deux ans d'incessantes manifestations. C'est finalement devant le Tribunal administratif que l'auteur de ces lignes a obtenu gain de cause, l'amende payée par la ville de Bordeaux servant à organiser un grand pique-nique (un bivouac !) devant la mairie le 12 septembre 2004.
L'attribution de l'église St-Eloi à une organisation de catholiques intégristes, début 2002. Ce bâtiment public est ainsi occupé illégalement depuis 4 ans, l'ancien premier ministre ayant cette fois encore été sanctionné par la justice administrative. Le dernier recours, un pourvoi en cassation, a été rejeté par le Conseil d'Etat le 2 mars 2005, mais les intégristes sont toujours en place. M. Juppé est plus prompt pour faire évacuer les églises lorsqu'elles sont occupées par des sans-papiers
Le relogement tardif des familles gitanes touchées par le saturnisme dans le Village andalou, un ghetto-bidonville pour lequel la mairie de Bordeaux a perçu jusqu'au dernier jour des loyers exorbitants. Pendant deux ans, de manifestations en dépôt de plainte pour empoisonnement, les familles gitanes et de nombreux citoyens bordelais ont tenté de contraindre le "maire-bailleur" à prendre ses responsabilités. Malgré l'urgence sanitaire, ce n'est qu'après avoir encaissé 750 000 euros versés par le Ministère de la Ville que M. Juppé a consenti à agir enfin.
L'accueil à Bordeaux de Vladimir Poutine : autant un Chef d'Etat peut expliquer qu'il est bien obligé de rencontrer ses homologues, fussent-ils infréquentables, autant rien ne peut justifier que M. Juppé ait accueilli, qui plus est avec fastes, Vladimir Poutine à Bordeaux le 12 février 2003. Le bourreau du peuple tchétchène a aussi été accueilli par un milliers de manifestants : un record pour un jour de semaine, en pleine journée !
Une subvention de 230 000 euros pour Johnny Hallyday, certainement confondu avec un modeste intermittent du spectacle. Une fois de plus, après de multiples protestations, le maire a reculé, la municipalité prenant toute de même à sa charge la mise à disposition du stade et quelques autres frais pour environ 230 000 euros ! Alain Juppé a donc à moitié réussi son coup
Alain
Juppé : un homme "non-providentiel" !
Défaillant
sur les questions de société, Alain Juppé l'a aussi été sur le plan
socio-économique. La stature nationale du personnage devait assurer à Bordeaux et à la
Communauté urbaine (CUB) l'autorité nécessaire pour mener à bien divers grands
projets, c'est l'inverses qui s'est produit, par exemple avec les annulations en justice
de divers marchés publics : en particulier, en 2000, celle d'un des plus importants
contrats de l'histoire de la CUB, le matériel roulant et la pose des voies du tramway,
attribués illégalement à Alstom. Des procédures judiciaires sont d'ailleurs toujours
en cours. Autre annulation, le 23 mai 2006, celle du contrat de concession du marché des
Capucins signé en janvier 1996 par M. Juppé en faveur de la société Géraud qui, par
ailleurs a bénéficié d'autres avantages indus. On notera la perpétuation de scandales
financiers sur l'Eau et l'Assainissement, pour le plus grand profit de certaines
multinationales. La ténacité des associations locales a d'ailleurs contraint le
successeur de M Juppé, après quelques atermoiements, à remettre un peu d'ordre dans ces
dossiers. Alain Juppé s'est aussi fait berner par le Port autonome lors du transfert des
quais dont on s'est aperçu après coup que les voûtes étaient en ruine. Pas brillant
pour un soi-disant "homme providentiel" qui devait faire bénéficier Bordeaux
de sa "stature" et de son expérience.
En fin de compte, rien ne permet de penser que M. Juppé soit plus qualifié que le maire actuel Hugues Martin pour mener la politique réactionnaire et antisociale de la majorité UMP-UDF. Et, en tout cas, ils semblent tout aussi incompétents et naïfs l'un que l'autre. L'organisation d'un scrutin municipal au seul profit de M. Juppé ne se justifie donc pas plus politiquement que moralement, sans oublier la nouvelle facture pour les finances municipales que représenterait cette honteuse élection, qui doit donc être annulée.
(*) Stéphane Lhomme
(**)
Tout en condamnant le 1er décembre 2004 Alain Juppé pour "prise
illégale d'intérêt", dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, la
Cour d'appel de Versailles a fixé la peine d'inéligibilité de M. Juppé à un an au
lieu des dix ans prévus par la loi.
(***)"La mairie de Paris a indiqué avoir reçu de la part des avocats d'Alain Juppé une proposition de remboursement de 1,2 million d'euros dans l'affaire des emplois fictifs", AFP, 10 juin 2004
Non au "blanchiment"
d'Alain Juppé
Par Stéphane Lhomme, militant associatif. Janvier
2006
Ainsi, en contradiction totale avec les textes de Loi, Juppé a obtenu une condamnation symbolique : une inéligibilité de 1 an au lieu des 10 ans prévus. Tout est maintenant en place pour que le "meilleur d'entre nous" récupère son siège municipal. Pour ce faire, une puissante opération de réhabilitation de l'ancien maire de Bordeaux est en cours. Elle est basée sur la magnification indue de son bilan et surtout sur l'enterrement de quelques affaires gênantes. Décryptage.
Jacques Chaban-Delmas ayant laissé, en 1995, une ville de Bordeaux dans un quasi état d'abandon, quelques initiatives bien menées pouvaient suffire à faire de M. Juppé le "sauveur" de la capitale d'Aquitaine. Le maire de Bordeaux, qui était par ailleurs président de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), a ainsi choisi de s'offrir une première mondiale, l'alimentation du tramway par le sol. Inauguré en présence du Président de la République, à grand renfort de feux d'artifice, le système ne semble hélas pas au point : les pannes se multiplient, usant la patience des usagers. Heureusement pour les juppéistes, la "Fête du vin" et la "Fête du fleuve" alternent d'une année sur l'autre et se concluent elles aussi par d'imposants feux d'artifice ! Si on y ajoute l'éclairage nocturne de divers bâtiments bordelais, on peut raisonnablement conclure que l'action du maire de Bordeaux se résume à éblouir ses administrés en dépensant leur argent. Mais ce ne sera pas suffisant pour effacer plusieurs affaires troubles qui marquent l'action municipale d'Alain Juppé. Des affaires qui démontrent son véritable mépris des personnes, en particulier des plus faibles et démunies, et ses relations suspectes avec les milieux réactionnaires.
Arrêté anti-bivouac : la "chasse aux
pauvres". Alain Juppé a pris, en janvier 2002, un arrêté municipal dit
"anti-bivouac" : une nouvelle forme d'arrêté anti-mendicité, visant
spécialement les SDF et les jeunes qui restent parfois assis dans les zones
piétonnières en période estivale. Ayant pris cet arrêté sans même en informer son
conseil municipal, le maire de Bordeaux n'a eu de cesse par la suite de le justifier et
d'exiger son application brutale par la police nationale qui n'a pourtant pas
d'ordre à recevoir de lui. Les manifestations incessantes, pétitions, perturbations du
Conseil municipal n'y ont rien changé. Le maire de Bordeaux a finalement baissé pavillon
devant l'obstination de citoyens bordelais : l'arrêté "anti-bivouac" a été
définitivement cassé par le Tribunal administratif, le 27 avril dernier. La mairie de
Bordeaux a été condamnée à verser une somme de 1300 euros aux militants qui l'ont
utilisée pour organiser le 12 septembre 2004 un grand pique-nique un
"bivouac" ! - devant l'entrée de la mairie de Bordeaux.
Village andalou. Aujourd'hui rasé, ce "ghetto bidonville"
gitan était situé à Bordeaux, mais hors de l'agglomération, sur une zone déserte au
nord de la ville. Construit du temps de Chaban-Delmas, ce village misérable était
habité par une cinquantaine de familles gitanes, sédentaires depuis au moins quarante
ans. Il ne s'agissait donc pas de "gens du voyage", mais bel et bien de citoyens
bordelais qui payaient d'ailleurs de lourds loyers mensuels
à la mairie de
Bordeaux. En juillet 2000, des tests sanguins pratiqués par l'association Médecins du
monde démontrent que les enfants Gitans sont touchés par un mal gravissime, le
saturnisme, c'est-à-dire du plomb dans le sang. Le Village andalou ayant été construit
sur l'ancienne décharge de l'agglomération bordelaise, il n'est pas possible de
réhabiliter le site. Une seule solution s'impose : l'évacuation immédiate et le
relogement des familles gitanes. Et c'est le maire de Bordeaux, propriétaire du
bidonville, qui doit prendre ses responsabilités. Or, il faudra deux ans de
manifestations, pétitions, et même le dépôt à son encontre d'une plainte pénale pour
empoisonnement, pour qu'Alain Juppé agisse enfin, après avoir manifesté le plus grand
mépris pour la santé et de l'avenir des enfants gitans
et avoir encaissé jusqu'au
dernier moment les loyers de la honte.
Eglise St-Eloi. Cette affaire, a mis à jour une face peu connue d'Alain
Juppé : une faiblesse, voire un véritable penchant, pour les milieux catholiques
intégristes. Ce n'est pourtant pas un scoop
pour qui veut bien étudier la
composition du gouvernement Juppé de 1995 : on y trouvait la très réactionnaire Colette
Codaccioni, ministre de la "solidarité entre les générations", et dans les
cabinets de deux personnes proches sinon membres de l'Opus Dei : M. Hervé Gaymard,
secrétaire d'État aux finances, et son épouse, Mme Clara Lejeune-Gaymard, fille du
professeur Jérôme Lejeune, animateur de mouvements anti-IVG. En janvier 2002, peu après
avoir signé l'arrêté "anti-bivouac", le maire de Bordeaux flatte à nouveau
l'électorat réactionnaire en attribuant à une secte intégriste catholique une église
de Bordeaux, l'église Saint-Eloi. Aux opiniâtres manifestations et pétitions,
s'ajoutent cette fois-ci des actions en justice de la part de l'Eglise catholique
officielle qui n'apprécie pas de se voir ainsi dépossédée. A l'occasion des
différentes fêtes religieuses célébrées par les intégristes, des regroupements de
nazillons ont lieu. C'est ainsi que seront reconnus des membres d'Unité radicale,
l'organisation de Maxime Brunerie, l'individu qui a tiré le 14 juillet 2003 sur
Jacques Chirac. Alain Juppé a décidément de drôles de fréquentations. Hélas,
l'affaire n'a rien d'amusant : diverses agressions fascistes ont depuis eu lieu à
Bordeaux, par exemple le passage à tabac du propriétaire d'un bar associatif et
antiraciste, le P'tit Rouge, en juillet 2004. (Suite ici)
Le flop du tramway "sans fil". Certainement hypnotisé par son
"destin", le maire de Bordeaux, par ailleurs président de la Communauté
urbaine de Bordeaux (CUB), a choisi de s'offrir une première mondiale : l'alimentation du
tramway par le sol. Or, le système ne semble pas au point : les pannes se multiplient,
usant la patience des usagers. De plus, le gouvernement composé des
"amis" du maire de Bordeaux, a annoncé fin 2003 qu'il ne financerait plus les
projets de transports en site propre, privant la CUB de 106 millions d'euros.
Les sans papiers exploités sur le chantier du tramway. Le scandale du
tramway bordelais est loin d'être seulement technique. C'est ainsi que Bordeaux a connu
fin 2002 une invraisemblable affaire : des dizaines de "sans-papiers" roms
bulgares squattant les anciens hangars du port, au coeur de Bordeaux, dans des conditions
inouïes de précarité. De notoriété publique, beaucoup de ces malheureux étaient
exploités "au noir" sur les chantiers du tram, condition sine qua non pour
tenir les délais : en effet, le maire de Bordeaux exigeait que l'inauguration de la
première ligne se fasse impérativement avant la fin de l'année 2003. Dans Candide,
Voltaire fait dire à un personnage : "Quand Sa Hautesse envoie un vaisseau en
Égypte, s'embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à leur aise ou
non ?". De même, quand Alain Juppé fait un caprice, il se moque bien
d'aggraver les souffrances humaines. Ainsi, le 21 décembre 2003, le maire de Bordeaux
s'offrait une belle inauguration en présence du Président de la République. Les
malheureux "squatteurs des hangars" avaient été expulsés par avion depuis
longtemps.
Inauguration du tramway : raffle anti-militants. Pour une centaine de
militants, mais aussi de simples citoyens présents au mauvais moment et au mauvais
endroit, l'après midi inaugural du tramway n'a pas été rose : ils ont été
séquestrés par les forces de police dans une véritable souricière rapidement
complétée de barrières métalliques installées par
les agents municipaux de la
Ville de Bordeaux. Le maire peut toujours prétendre qu'il n'était pas au courant de la
collaboration de ses employés à ce scandaleux traquenard. A Bordeaux aujourd'hui comme
auparavant à la mairie de Paris, tout semble se décider dans son dos
La mascarade des "Conseils de quartier". Afin d'étouffer dans
l'oeuf toute vélléité de démocratie participative, Alain Juppé en a organisé
une triste parodie à travers de pseudo "conseils de quartier" : des
"grand-messes" au cours desquelles les représentants de la municipalité, Alain
Juppé en tête, paradent, vantent leur politique, et "fusillent" tout
questionneur critique. Ce dernier ne dispose que de quelques secondes ("Posez votre
question !") alors que les élus disposent de tout leur temps, micro en main, pour
humilier l''effronté citoyen. Aucun rapport avec la démocratie participative née à
Porto Alegre (Brésil) où les citoyens votent et décident de l'affectation de l'argent
municipal.
Accueil
(qui plus est fastueux) des criminels Hu Jintao et Vladimir Poutine. C'est
toujours avec l'argent de ses administrés qu'Alain Juppé, pour construire son
"destin national", invite à Bordeaux les grands de ce monde
tortionnaires
de préférence : c'est ainsi qu'il a reçu, respectivement en 2001 et 2003, Hu Jintao et
Vladimir Poutine. Le premier, à l'époque vice-Président de la Chine, est depuis devenu
numéro un dans son pays et bafoue allègrement les Droits de l'homme. Le second,
impitoyable bourreau du peuple tchétchène, a pourtant été reçu avec le plus grand
faste les 12 et 13 février 2003.
Autres affaires peu glorieuses pour le maire de Bordeaux : l'importante
subvention attribuée à Johnny Halliday sûrement confondu avec
un modeste intermittent du spectacle - pour faire un concert au stade municipal de
Bordeaux le 13 juillet 2003 ; le financement massif du très artificiel "Festival
du cinéma au féminin", véritable flop maintenu à flots d'année en
année avec l'argent des bordelais ; l'ouverture à Bordeaux d'un casino,
attribué "courageusement" au puissant groupe Accor, afin de récupérer les
dernières pièces de monnaie des ménages bordelais modestes ; de troubles appels
d'offre concernant les parkings souterrains bordelais ; l'augmentation
substantielle des dépenses municipales pour un "plan lumière"
visant à éblouïr les bordelais et, surtout, illuminer le destin d'Alain Juppé ;
etc., etc., etc
La réhabilitation d'Alain Juppé, lancée par ses amis politiques, est
basée sur la magnification mensongère de son action bordelaise, couplée à une
véritable entreprise de révisionnisme pour faire oublier les dossiers noirs du maire de
Bordeaux. Nous ne les oublions pas.
Stéphane Lhomme